Elio Vittorini / nouvelle traduction de l’italien par Jeanne Revel
Mise en scène et adaptation scénique : Irène Bonnaud
Avec : Catherine Ferran, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, Jonathan Heckel.
Production déléguée : Théâtre du Nord – Centre Dramatique National – Lille
Silvestro, la trentaine, ouvrier-typographe à Milan, accablé par l’état du monde et les massacres qu’annoncent chaque jour les journaux, part en Sicile sur un coup de tête : il veut rendre visite à sa mère, qu’il n’a plus vue depuis quinze ans.
Vittorini met en scène le retour au pays natal, les retrouvailles avec une Sicile qui se confond avec l’enfance, et les sensations à jamais gravées dans la mémoire : l’odeur d’un melon d’hiver, le goût des escargots, le bruit assourdissant des cigales.
Mais pendant cette première conversation avec sa mère depuis qu’il a atteint l’âge d’homme, Silvestro s’apercevra que le royaume merveilleux de son enfance faisait partie du « monde offensé », un monde déchiré par la pauvreté et la guerre, qu’il avait cru pouvoir fuir dans les montagnes de Sicile. Il découvrira aussi l’histoire d’une femme dont il ne savait pas grand-chose, sa mère. Mais la vérité cruelle du monde n’efface pas les souvenirs de l’enfance, elle les complète, les rend peut-être plus riches et plus beaux encore.
Publié en 1941, Conversation en Sicile, devenu aujourd’hui un « classique » de la littérature italienne, est un ces romans qu’on lit, et puis qu’on relit toute sa vie. Humble récit, simple comme la vie même, il est pourtant d’une richesse inépuisable tant il parvient à une compréhension absolue de l’être humain, de ses joies et de ses douleurs.
Nous n’en travaillerons qu’un fragment, la scène centrale où dialoguent le fils et sa mère et qui occupe plusieurs chapitres du roman. C’est l’occasion de réunir deux générations sur la même scène, Catherine Ferran et ses trente ans et plus passés dans la troupe de la Comédie-Française, et Jonathan Heckel qui est issu de la première promotion de l’EPSAD, l’Ecole du Théâtre du Nord.
Je croyais que c’étaient les cigales, la malaria !
– [elle rit]. Peut-être que c’était pour cela que tu en attrapais tellement ?
– J’en attrapais ? Mais moi, je croyais que c’était leur chant, la malaria, pas elles… J’en attrapais ?
– Et comment ! Vingt, trente à chaque fois.
– J’imagine que je les prenais pour des grillons. Qu’est-ce que j’en faisais ?
– J’ai idée que tu les mangeais.
– Je les mangeais ?
– Oui, toi et tes frères. [elle rit]
– Comment est-ce possible ?
– Peut-être que vous aviez faim.
– On avait faim ?
– Peut-être que oui.
– Mais si on vivait bien, chez nous !
– Oui, ton père touchait sa paye chaque fin de mois, et alors pendant dix jours, on vivait bien, on faisait l’envie de tous les paysans et des gens des soufrières… Mais après les dix premiers jours, on devenait comme eux. On mangeait des escargots.
– Des escargots ?
– Oui, et de la chicorée sauvage.
– Et eux, ils ne mangeaient que des escargots ?
– Oui, tous les pauvres ne mangeaient que des escargots, d’habitude. Et nous, nous étions pauvres les vingt derniers jours de chaque mois.
Création le 2 juin 2012 au Théâtre du Nord – Lille.
Développé avec Berta